vendredi 6 septembre 2013

Morceaux choisis : les yeux de Gilberte

Ses yeux noirs brillaient et comme je ne savais pas alors, ni ne l’ai appris depuis, réduire en ses éléments objectifs une impression forte, comme je n’avais pas, ainsi qu’on dit, assez « d’esprit d’observation » pour dégager la notion de leur couleur, pendant longtemps, chaque fois que je repensai à elle, le souvenir de leur éclat se présentait aussitôt à moi comme celui d’un vif azur, puisqu’elle était blonde : de sorte que, peut-être si elle n’avait pas eu des yeux aussi noirs,—ce qui frappait tant la première fois qu’on la voyait—je n’aurais pas été, comme je le fus, plus particulièrement amoureux, en elle, de ses yeux bleus.

Marcel Proust, Du côté de chez Swann