mardi 15 octobre 2013

Paulina 1880 de Jouve

Paulina jeune fille aimait surtout dans les églises les supplices des Saints. « J'allais à l'église pour les regarder souffrir. » Elle voyait les martyrs dans les vieilles fresques à la fois lus vraies, plus horribles que la vie, mais parfaitement tranquilles, apaisées et devenues belles, tandis que le soleil éclatant grisé de poussière à midi pesait de toute sa force sur le parvis de l'église pour essayer de franchir le velum tendu dans la grande porte et défendant le demi-jour de la maison de Dieu. A San Maurizio, il y avait le martyre de sainte Catherine et celui de saint Maurice, mais dans mainte autre petite église cachée parmi les quartiers populeux, ce n'étaient que bruit de sanglots, égouttement de sang, agonie, et béatitude enfin sur le visage du Saint. Paulina ne savait pas ce qu'était la peinture et elle ne lisait jamais de poésie, mais elle adorait une image qu'elle avait : L'Extase de sainte Catherine de Sienne peinte par Sodoma, d'un amour trouble, immense et absolument intérieur  à elle-même. Sainte Catherine à genoux s'affaisse. Sa main est blessée par le stigmate ; sa main pend, elle repose chastement dans le creux des cuisses. Comme elle est femme, la pure image, la religieuse, ces larges hanches, cette douce poitrine sous le voile, et ces épaules. Ce n'est pas moi qui ferai jamais une si belle épouse, je suis maigre, pas formée pour l'amour. Le creux des cuisses signifie l'amour, mais il ne faut pas penser selon la chair, c'est une idée de Satan. Deux autres religieuses soutiennent Catherine, celles-là ne comprennent rien et ne voient rien, le monde du bonheur est fermé pour elles ; et Catherine heureuse est morte. Son visage a perdu la vie ! Elle est morte, elle est morte, aimer c'est mourir. Elle est dans la joie, elle dort. Qui m'aimerai jamais moi, qui me fera mourir ? Et Lui se retire, il vole, il s'envole. Tout le monde sait que Catherine avait épousé le Christ. Ah, si Tu pouvais, un jour, Te retirer de moi après m'avoir blessée ! Comme la Sainte est pliée en deux, et Lui comme il est au contraire raidi avec son corps qui forme un cercle, et tout-puissant avec son bras levé. O mon doux amant Jésus disait sainte Catherine. La vision de Paulina se troublait, une étrange chaleur montait de son corps à sa pensée, elle éprouvait un désir brusque d'embrasser, de mordre, de battre et d'être anéantie. Elle faisait rapidement un acte de contrition, et elle courait chez son confesseur.

Pierre Jean Jouve, Paulina 1880

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