jeudi 9 janvier 2014

La Complainte du roi Salomon



J’ai voulu tout détruire, jusqu’aux dernières possibilités de choix. Hormis la destruction, aucune Justice n’est envisageable, dans ce monde… Les deux femmes, aujourd’hui, ne se battent plus pour un nouveau-né qui grimace – plus au sens propre. C’est de sentiments intangibles qu’il s’agit… de cœurs humains palpitant encore sous leur étreinte. Elles ne voient même pas qu’elles l’ont abîmé, à se l’arracher sans cesse. Reportent la faute l’une sur l’autre, subrepticement : moi, qu’y puis-je… ? Je me sens un Prométhée nouveau, pauvre légende sans Iliade, et c’est mon cœur que l’on arrache, se ménagement, en me suppliant de le trancher équitablement. Quoique… La nouveauté est là aussi : ni l’une ni l’autre aujourd’hui ne conçoivent ce choix cruel, de l’épée qui viendra, d’un seul geste sanglant, donner à chacun une petite partie, exsangue, presque morte, de ce qui fut mon amour. 

Alors quoi… ? Elles me regardent, elles attendent. Je sais combien déjà elles se sont déchirées, c’est là leur Fatalité intérieure. La Justice – oh, qu’est-ce que la Justice… ? – me dit de leur faire arracher la langue. En mon temps, l’on savait, alors, combien les mots étaient puissants, et l’on punissait, à raison, ceux qui en usaient sans prudence… L’amour, la souffrance… Cela ne justifie pas tout. 

Mon cœur, je l’ai vu exposé en place publique, sous toutes les coutures – avec juste un rien de voie posé dessus, prétendument par pudeur. Il attise l’envie de la délaissée, quelle qu’elle soit, et l’autre à qui j’ai osé l’offrir, un instant, en toute confiance, parade avec, avec un semblant d’innocence… Voyons, je ne voulais pas mal faire, j’étais heureuse, c’est tout… Allons bon. Je ne suis pas là pour juger des intentions, je suis là pour juger les actes. Et les actes sont criminels. Je me sens l’instrument d’un désir obscur, pas vraiment assumé, d’assurer ses arrières, de mettre trop de mots sur les choses – ses mots à soi, pas ceux des autres. D’être celle qui détiendrait la vérité au détriment de l’autre, et ce, qu’importent les conséquences… C’est bête à mourir.

Alors soit, je trancherai, puisque vous souhaitez que je tranche. C’est injuste, mais c’est ainsi : vous êtes coupables de la fatalité humaine. Moi aussi. Vous qui m’encouragez à la présenter, ce cœur, saignent et nu, en me promettant d’en prendre soin… vous avez été trompeuses. Vous n’aviez pas mesuré vos impossibles – votre fatalité à vous. Oh, je vous emprisonnerais bien dans mes geôles, là où l’on ne vous entendrait plus crier… Hélas, je veux être un bon roi, un roi juste… en ce genre de cas, c’est une faiblesse qu’on ne mesure pas. 

Tel est mon verdict. Pour avoir osé crier, Mesdames, à plusieurs reprises, pour avoir forcé des portes qui, toujours, eussent dû rester closes, je ne vous ferai rien d’autre que reprendre ce cœur, qui vous semble un jouet, et le renfermer dans mes coffres, là où vous ne pourrez plus l’atteindre.

Ainsi a jugé le roi Salomon – et après lui, le silence.

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