vendredi 24 janvier 2014

Prélude en tapisserie


Il était un homme blanc, aux sourcils tristes, aux manches en cascade. Il courrait, tranquille et trop peu fier, après une aimée de carton – après une statue poudreuse. Il pleurait beaucoup, sautait plus haut encore ! Et il figurait assez bien un petit bonhomme triste, amoureux transi de sublime, et qui se heurte au monde … presque malgré lui.

Un jour, un seul – il avait peut-être six ou sept ans, dans la maison déserte … Marieke lui avait pris la main et l’avait emmené dehors. Point de promenade au Bois, ils avaient traversé les rues – les boulevards éventrés d’un Paris qui change … La poussière blanche des voies qui se traçaient alors avait maculé les robes de la gouvernante et ses souliers d’enfants. Et puis … Ils étaient allés voir la Pantomime.

Sur la scène, il était un homme blanc, aux sourcils tristes, aux manches en cascade. Il avait des larmes factices le long des yeux, de grands gestes pâles de marionnette blanche … Il mourrait souvent – mais c’était toujours pour de faux. Et puis dans une ultime cabriole, il disparaissait, aussitôt. De grands blancs en transparences … !

–  Dis, Marieke, il est parti où, le Pierrot ?
Patience … Il va revenir, vous allez voir !

Et le gamin guettait l’homme blanc sans comprendre l’histoire, riant déjà quand il se faisait bastonner par la force des choses – mais avec au fond du cœur comme une envie de pleurer. Il avait sans doute, avec ses yeux d’enfant, aimé l’Arlequin, la Colombine, applaudi aux poursuites et aux cavalcades … Mais le temps laisse ternir toutes les couleurs et les bariolages. En son souvenir, il n’était à présent que l’homme blanc, qui aimait, désaimait, – en crevait. Et Jean de Fréneuse avait gardé cette image, presque comme un secret, souvent comme un trésor.  Il eut beau se torturer l’esprit : il ne retrouva ni le lieu, ni le nom, ni l’argument de la pantomime. Il chercha quel était le théâtre qui, il y avait plus de vingt ans, avait accueilli un enfant aux boucles blondes, pour l’abreuver de silences – de si tristes silences … Mais lorsqu’il commença cette quête, la Ville avait déjà trop changé – et l’oubli, avec elle …

Dis, Marieke, il est mort, le Pierrot ?
Mais non, c’est pour jouer : il fait semblant.

Alors, le temps aidant, l’envie passa … Il chercha moins, oublia même ce qu’il devait trouver, à tout prix. Seule l’image de l’histrion sinistre – du Pierrot Lunaire – lui était restée, incompréhensible et mystérieuse. Il y avait du fantôme dans ses larges manches, du mort amoureux dans son œil cave, de l’hystérique dans sa démarche folle …  Et l’homme blanc était ainsi demeuré, en sa vie, en son cœur, comme un dieu tutélaire dont on ne comprend plus la langue et qui vous réclame, en ses gestes, comme une ultime offrande. Avec ses sourcils tristes et ses manches en cascade. 

(avril 2011)

1 commentaire:

  1. "Il mourrait souvent – mais c’était toujours pour de faux."

    Moi aussi je fais ça... je me prends au jeu, je crois mourir... et puis en fait non.
    Le jour où je mourrai vraiment aussi... en fait je crois que je ferai semblant. :)

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