lundi 6 janvier 2014

Vie et mort d'une marionnette humaine

Il n’est pas besoin d’histoire, dans certains domaines. J’aurais pu vous conter, par le menu, une rencontre – anodine ou significative. Des regards qui s’échangent, des mots qui ne se disent pas. Des lettres, peut-être, si l’on choisit de se la jouer à l’ancienne… Tenez, j’en ai même quelques unes sous le coude, d’histoires romanesques… Elles feraient tout à fait bien. Tout cela pour mener à la même chose – ce à quoi nous aimerions tant donner du sens, parce que cela en a un, bien sûr, sans que l’on sache exactement lequel… Mais est-ce bien nécessaire ? Voudriez-vous que, bien docilement, comme à chaque fois, je plaque le spectre de mes histoires vécues sur des bribes d’amours solitaires… ? Va, j’ai assez donné dans ce vice-là. Cette fois-ci, pas de transpositions, peu de fantômes. Je ne veux laisser vivre que cette vision fugace de deux corps, qui s’étreignent, dans la pénombre. Un lit pour seul décor – les draps en désordre, les chairs moites. Les mains en voyage, le long des courbes et des angles, dessinent une silhouette estompée. Et puis les yeux qui se ferment – que sert-il de voir… ? – et c’est un frisson au creux qui ventre, qui s’épanche et se répand… Oh, qu’est-il besoin de leur inventer une histoire, à ces gens-là ? C’est tout de même une singulière maladie que de vouloir à tout prix définir cet élan sincère et direct qui est le leur, et de le placer dans une progression habituée – une progression habituelle. N’est-ce point appauvrir leur silence que de placer dessus les mots de tous les jours, ceux que l’on utilise pour tous les amours, même les plus vils… ? Leur amour, à eux, c’est une liberté, une indépendance. Qu’importe s’il n’existe que dans l’imaginaire changeant de leur cœur, et s’il a déjà disparu demain. Qu’importe demain… ? Le jour existe-t-il encore, lorsque vous vous abandonnez dans les bras de l’autre, prêt à tout offrir, à tout concéder ? J’aimerais, comme eux, jouir des couchers de soleil sans horizon. Ne me préoccuper de rien. Les sentiments viendront, à leur heure, dans le secret linceul des draps souillés. Et puis le jour poindra… Ils reprennent leur souffle, tombent l’un à côté de l’autre, le geste essoufflé, le cœur hagard. Leurs regards se cherchent, et ils se disent mille choses qu’ils ne se diront jamais… du fond des yeux. Cela a ouvert des portes et des fenêtres – plus d’entrées qu’ils ne veulent vers leurs forteresses intérieures. L’un comme l’autre auront la bonté de ne pas s’aventurer trop avant. Ils savent, d’instinct, que cela n’est pas permis. S’ils s’aiment, par instant, c’est par oubli…

Et puis un silence. Les respirations s’altèrent, il y a comme des accrocs sur la trame de leurs caresses. Et sans crier gare, sans jamais un mot, ils se précipitent à nouveau l’un vers l’autre, plus forts de ce qu’il s’est déjà passé entre eux. Sans doute feront-ils demain comme si cela avait été une erreur, une maladresse, une faiblesse passagère. Peut-être même un rien de dépravation mal assumée, que l’on n’évoquera qu’avec un semblant de honte. L’on a souvent tendance à rejeter nous-mêmes ce qui a eu plus d’importance que cela n’en devait avoir… Mais que peut signifier l’avenir… ? Les voilà rivés l’un à l’autre, avec l’ardeur d’un désir qui n’a aucune espèce de sens. La couverture, tombée au pied du lit, semble un voile que l’on a soudain retiré des apparences…

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