Il n’est pas besoin d’histoire, dans certains
domaines. J’aurais pu vous conter, par le menu, une rencontre – anodine
ou significative. Des regards qui s’échangent, des mots qui ne se disent
pas. Des lettres, peut-être, si l’on choisit de se la jouer à
l’ancienne… Tenez, j’en ai même quelques unes sous le coude, d’histoires
romanesques… Elles feraient tout à fait bien. Tout cela pour mener à la
même chose – ce à quoi nous aimerions tant donner du sens, parce que
cela en a un, bien sûr, sans que l’on sache exactement lequel… Mais
est-ce bien nécessaire ? Voudriez-vous que, bien docilement, comme à
chaque fois, je plaque le spectre de mes histoires vécues sur des bribes d’amours solitaires…
? Va, j’ai assez donné dans ce vice-là. Cette fois-ci, pas de
transpositions, peu de fantômes. Je ne veux laisser vivre que cette
vision fugace de deux corps, qui s’étreignent, dans la pénombre. Un lit
pour seul décor – les draps en désordre, les chairs moites. Les mains en
voyage, le long des courbes et des angles, dessinent une silhouette
estompée. Et puis les yeux qui se ferment – que sert-il de voir… ? – et
c’est un frisson au creux qui ventre, qui s’épanche et se répand… Oh,
qu’est-il besoin de leur inventer une histoire, à ces gens-là ? C’est
tout de même une singulière maladie que de vouloir à
tout prix définir cet élan sincère et direct qui est le leur, et de le
placer dans une progression habituée – une progression habituelle.
N’est-ce point appauvrir leur silence que de placer
dessus les mots de tous les jours, ceux que l’on utilise pour tous les
amours, même les plus vils… ? Leur amour, à eux, c’est une liberté, une
indépendance. Qu’importe s’il n’existe que dans l’imaginaire changeant
de leur cœur, et s’il a déjà disparu demain. Qu’importe demain… ? Le
jour existe-t-il encore, lorsque vous vous abandonnez dans les bras de
l’autre, prêt à tout offrir, à tout concéder ? J’aimerais, comme eux, jouir des couchers de soleil sans horizon. Ne me préoccuper de rien. Les sentiments viendront, à leur heure, dans le secret linceul
des draps souillés. Et puis le jour poindra… Ils reprennent leur
souffle, tombent l’un à côté de l’autre, le geste essoufflé, le cœur
hagard. Leurs regards se cherchent, et ils se disent mille choses qu’ils
ne se diront jamais… du fond des yeux. Cela a ouvert des portes et des
fenêtres – plus d’entrées qu’ils ne veulent vers leurs forteresses
intérieures. L’un comme l’autre auront la bonté de ne
pas s’aventurer trop avant. Ils savent, d’instinct, que cela n’est pas
permis. S’ils s’aiment, par instant, c’est par oubli…
Et puis un silence. Les respirations s’altèrent, il y a comme des accrocs sur la trame de leurs caresses. Et sans crier gare, sans jamais un mot, ils se précipitent à nouveau l’un vers l’autre, plus forts de ce qu’il s’est déjà passé entre eux. Sans doute feront-ils demain comme si cela avait été une erreur, une maladresse, une faiblesse passagère. Peut-être même un rien de dépravation mal assumée, que l’on n’évoquera qu’avec un semblant de honte. L’on a souvent tendance à rejeter nous-mêmes ce qui a eu plus d’importance que cela n’en devait avoir… Mais que peut signifier l’avenir… ? Les voilà rivés l’un à l’autre, avec l’ardeur d’un désir qui n’a aucune espèce de sens. La couverture, tombée au pied du lit, semble un voile que l’on a soudain retiré des apparences…
Et puis un silence. Les respirations s’altèrent, il y a comme des accrocs sur la trame de leurs caresses. Et sans crier gare, sans jamais un mot, ils se précipitent à nouveau l’un vers l’autre, plus forts de ce qu’il s’est déjà passé entre eux. Sans doute feront-ils demain comme si cela avait été une erreur, une maladresse, une faiblesse passagère. Peut-être même un rien de dépravation mal assumée, que l’on n’évoquera qu’avec un semblant de honte. L’on a souvent tendance à rejeter nous-mêmes ce qui a eu plus d’importance que cela n’en devait avoir… Mais que peut signifier l’avenir… ? Les voilà rivés l’un à l’autre, avec l’ardeur d’un désir qui n’a aucune espèce de sens. La couverture, tombée au pied du lit, semble un voile que l’on a soudain retiré des apparences…
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