samedi 30 août 2014

Un autre exemple du jeu des couvertures


Le tic-tac des horloges, on dirait des souris qui grignotent le temps.
Alphonse Allais
Tic-Tac.
C'est un bruit sec et triste de machinerie qui se lance, de machinerie qui s'égare.
Elle tourne, tourne : l'habitude des mécanismes - fragments d'hébétudes.
C'est comme un rêve, triste triste, lancinant.
Ça revient, toujours le même et pourtant, toujours différent.

Le jeune homme a fait sa vie. Il la voulait tranquille et sans remous. Alors il avait pris pour habitude, faiblard... de remonter, chaque jour, les pendules. C'était pas nécessaire, autant de soin était superflu. Mais les horlogeries fines, si exigeantes envers le monde, lui furent reconnaissantes de tant d'effort. Doucement, avec leurs saccades de bêtes méfiantes... elles s'apprivoisèrent.

J'ai mis de la musique, tiens. Il faut quelque chose d'électrique et d'un peu froid.
Comme le cœur des pendules.
Moins vous vous humanisez, plus elles vous aiment.
Tchouk tchouk.
C'est nécessaire, vous savez, pour vous raconter son histoire, au confident des pendules.

Il avait un cœur un peu différent des autres. Il aurait pas pu prendre ce rôle, s'il n'avait pas eu cette aptitude particulière, cette sensibilité différente. Il fallait bien qu'il soit quelque chose, pour être ainsi choisi des roues dentées et des aiguilles... L'horlogerie ne désigne pas à la légère. Il était droit, dans ses courbes. Il suivait les chemins qu'il s'était tracés, à l'aube de sa vie d'adulte, comme un train respecte son aiguillage. Il allait droit au but - flâner, c'était bon pour ceux qui pouvaient perdre leur temps. Lui, il avait mieux à faire. Il ne devait surtout pas le perdre, son temps. Il le remplissait au mieux, comme on noircit chaque mesure d'un papier à musique - d'un papier à mesure. Sa vie était un horizon sans horizon, une hirondelle réglée au biseau, un clavier trop tempéré.
Les pendules trouvaient ça sexy.

C'était grâce à elles qu'il répartissait si bien son temps. Et ce fut d'abord lui qui leur confia ses heures et destinées. Mises en confiance, définitivement... elles délièrent leurs rouages et lui parlèrent.

Il fut surpris, alors, de leur trouver des préoccupations si basses. L'une lui parlait de ses aiguilles, qu'elle trouvait un peu larges. Chaque jour, elle s'efforçait de les contenir, de rappeler en elle leur matière, et chaque jour, elles offraient à l’œil du passant leurs rondeurs et leurs arabesques. C'en était presqu'une honte pour elle - et pourtant, qu'est-ce qu'ils en avaient à foutre, les passants... !  L'autre, naïve, se trouvait trop Louis Philippe pour être belle, une autre encore, là-bas, étalait à qui voulait les voir ses modernités en pagaille, dans des débauches de couleur qui faisaient peut-être bien... - Lui dites pas, surtout - trop Régence, voyez-vous... Régence d'un autre temps, voilà tout.

Notre jeune homme, bien vite, se trouva déçu. C'étaient donc cela, les angoisses des pendules ? Et l'horloge baudelairienne, existait-elle... ?
Il ne comprenait pas, le naïf, que l'horloge baudelairienne et la pendule futile coexistaient souvent. Et qu'on ne commence les tristes confidences que par des faux problèmes, des histoires qui ne comptent pas vraiment. Les pendules peinent à accorder leur confiance, n'est-ce pas... ? Elles n'allaient pas révéler au premier choisi venu - quand bien même serait-il choisi - le secret des secondes qui passent...

Les secondes qui passent...
Les premières, déjà, sont des enfants perdus, dont on ne retrouve pas la trace.
Les secondes ont suivi, pressées, impérieuses. On en oublia les précédentes. Minute ! Les heures passèrent, masquant le souvenir, couronnant l'ennui d'une vague performance.
Mesurons l'excès, voulez-vous bien ?

Tic tac.
Si on étend le tic-tac dans le temps et qu'on le floute, on obtient le bruit d'une respiration.
C'est bête qu'il ait pas le pris de temps de s'en rendre compte.

Les horloges ne pouvaient que choisir quelqu'un qui ne saurait pas comprendre ce qu'il y a de brouillé en elles - ce qu'il y a d'humain dans leurs désespoirs. Elles ne pouvaient sélectionner qu'une locomotive - une bombe - humaine, qui voulait se régler sur le ballet bien réglé de leurs tempos. Personne pour les ralentir. Personne pour les faire taire.

Tic Tac.
Memento mori, bien sûr.
Et toutes les conneries dans le genre.


J'aurais pu, moi, vous insuffler quelque chose. Vous dérégler sans doute. Pour un temps.
Mais vous avez choisi.

À trop vouloir raisonner, votre humain préféré est devenu un machine à penser.
J'éteins ma musique électronique, et je passe à autre chose.

Tel est et tel sera toujours le confident des pendules.

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